1977-1978, ou "Béatrice"...
C'est une des deux années où j'étais étudiante à l'ULB.
Nous étions un groupe d'amis, étudiants en philologie romane, en philologie germanique ou classique, et nous prenions le tram à plusieurs. Normalement, je prenais le 32 ou le 94 (de toutes petites motrices 9000, encore, avec seulement deux portes et des tablettes en demi-lune!) et je n'avais pas un très long trajet à faire. Du coup, à 5 heures, dès que le printemps était là, je préférais prendre le 90 ou le 23 avec mes amis, jusqu'à Montgomery, où je prenais le métro jusqu'à Arts-Loi... Puis, le premier tram venu, jusqu'à Louise, à la sortie du tunnel, juste après la porte de Namur. Et là, j'attendais "mon" 32, qui me ramenait chez moi.
C'était du temps des trams 101, 102, 103, 18 et 32. Je crois que le 101 faisait toute la "Petite ceinture", le 102 allait à Molenbeek (et je prenais ce tram pour aller chez une de mes amies du lycée, qui habitait avenue Brigade Piron), le 103 allait à Anderlecht, à CERIA! Et le 18 à Uccle, dans le quartier de mes grands-parents maternels. Ah! Le tramway de la STIB, couleur jaune primerose! Nostalgie, quand tu nous tiens!
C'est marrant, parce que quand j'entame un exposé sur les trams, les essieux ou les bogies, et le rail à voie métrique ou voie normale, j'étonne toujours tout le monde. Evidemment, le rail, ce n'est pas très féminin comme passion!
Bruxelles, Musée du Transport urbain bruxellois (MTUB), motrice de type 9000.
Donc, je pérorais pas mal. Je me demande bien de quoi je pouvais parler! Des années plus tard, j'ai retrouvé un étudiant de ce temps-là, qui m'a dit que j'avais (ah bon?) un humour détonnant. Donc, je devais parler des profs d'unif, sans doute. Souvent. Je fulminais contre Platon, aussi. (Et son "Cratyle" et son "Protagoras"!)
Quand on étudiait Baudelaire, notre prof (un assistant, docteur en littérature et spécialiste de Paul Eluard), tentait de nous expliquer la signification de Satan Trismégiste. En bonne potache facétieuse que j'étais, je l'avais surnommé André (prénom inventé) Trismégiste. Et le pire, c'est qu'il l'avait appris, je ne sais comment ! Peut-être parce que j'avais la manie de faire des graffiti sur mes bancs d'école (ou d'unif!) En général, on repérait ma place de loin !
Malgré ça, il m'avait expédiée, un jour, devant l'auditoire, pour présenter une de mes analyses de poème(s), "Nuit rhénane", d'Apollinaire.
"Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire"
Il y avait un étudiant brillant, dans notre année, que j'estimais beaucoup et le prof avait longtemps médité sur nos deux analyses. Lui, il a continué philologie romane et il est devenu assistant de notre professeur d'histoire de la littérature. Puis, professeur lui-même. Curieux!
Je pense que j'étais plutôt flattée, et en même temps, j'avais le trac.
***
Le matin, je trouvais souvent dans mon tram une jeune fille blonde, qui avait l'air d'avoir notre âge, ou un peu plus, très distinguée, longue, mince, et qui nous écoutait attentivement. La jeune fille idéale, ou, se rapprochant, sans doute, de l'image que je m'en faisais. C'était très étrange. Elle portait souvent un sac contenant une blouse blanche, je crois bien que je me suis construit tout un personnage, à son sujet. J'imaginais une laborantine, quelque part, dans un des bâtiments de la fac de médecine. Il faut dire qu'il régnait une atmosphère incroyable dans les couloirs et les labos de la faculté des sciences.
En réalité, elle n'allait pas dans la même direction que nous. Apparemment, elle travaillait chez un médecin, ou dans un laboratoire privé, ou peut-être dans une pharmacie. Je l'avais surnommée Béatrice. En pensant à la Béatrice de Dante, bien sûr! Et puis, un jour que j'étais -seule- à l'arrêt du tram, et qu'on se regardait sans rien dire, je suis allée vers elle et je ne sais comment, j'ai entamé la conversation. On a échangé nos noms, et même nos adresses. Et puis c'est tout. Nous avons eu quelques conversations, sûrement superficielles, quoique sympathiques, ensuite, j'ai quitté l'ULB et le quartier du Solbosch, et je l'ai perdue de vue.
Un enchaînement curieux de faits -et d'échanges de mails avec une vieille amie de ce temps-là- m'a fait me souvenir de cette anecdote.