62/366: aujourd'hui, comment lui dire
Comment lui dire combien drôle (quand je ne pleure pas) je trouve la vie de son village !
Le côté sympa, le printemps revenu, on sort les chaises, les barbecues, les pains saucisses, les bars improvisés, on fait des brocantes, c'est le temps du vide-grenier. Cadres, poupées, livres, jus d'orange, vêtements, chaises décannelées, tout se retrouve sur les trottoirs, sous une fine pluie grise et serrée.
Et puis, on croise des gens de connaissance. Les échevins qui serrent les pinces (c'est bientôt les élections communales), les poivrots de la zone (reconnaissables à leur nez rouge et tavelé, à leurs ongles douteux, à leurs vestes usées), on croise les locataires ou propriétaires actuels de la maison n° combien que vous avez habitée trente ans auparavant et on fait la causette sur le temps qu'il fait, la crise, Sarko et le chômage, hein, c'est bien vrai ma bonne dame, tous des paresseux, mais à notre âge, non, mais quoi! On ne trouve plus de boulot !
On croise les vieilles familles du coin, dont les plus aisés regardent les moins nantis avec superbe, des ressortissants qui, comme le plus bruxellois du bruxellois, regarde le trottoir d'en face pour ne pas dire bonjour (mais ici, les trottoirs sont étroits et les rues minuscules), parce que n'est-ce pas, si un tel est sorti avec un tel avant d'épouser l'héritière de la maison de la ferme à lapins près de l'arrêt du bus où le conducteur TEC a fait ses études dans la même école que le fils du chef du village d'en face, on n'est pas sorti de l'auberge !
Et puis, il y a ceux qu'on ne voit jamais, qui restent prudemment dans leurs maisons, mais dont les oreilles absentes recueillent le potin frais avec délices comme le jardinier ramasse le crottin de cheval lors des promenades du dimanche en forêt de Soignes. Il y a ceux dont le nez crolle et dont les oreilles tintinnabulent, en un mot, ce n'est pourtant pas la province parce que franchement, ici, c'est la ville avec des rues, des voitures, des casse-vitesse et des jardins, (où l'on coupe les arbres, c'est vrai quoi! C'est embêtant les arbres !!!) des saucisses grillées au premier rayon de soleil, des bulles à verre en bas de votre butte, et des motards qui pétaradent,
Et en même temps, tout le monde (ou presque) se connaît, mais ce n'est pas tout à fait vrai, tout le monde, je suppose ne se connaît pas, en tout cas, moi, je ne reconnais à peu près personne, sauf que je commence à en connaître un bout sur la vie du village -jusqu'à la deuxième ou troisième génération (et les générations à venir, à peine formées dans le ventre des jeunes mères), et moi là-dedans, qu'est-ce que je fais avec ma figure ahurie, mon sac à dos, mes écharpes d'hiver, mes lunettes et mon air passablement distrait ?
Mmh - Mmh ! (c) Vanu...