Pendant qu'on (ne) dort (pas)
"Pendant qu'on dort", c'était un recueil de contes que la mère d'Odilon-Jean et de Gilbert Périer (l'un, un des plus grands poètes belges d'une part, et l'autre, ancien P.D.G. de la Sabena, d'autre part) avait écrit pour ses enfants.
Je ne parviens pas à trouver le sommeil... Même sous la couette, avec un rempart d'oreillers, c'est normal, je réfléchis, tout en restant calme. Je me suis mise à penser à mon prof de Berkendael, à son épouse (envers laquelle j'ai une dette particulière, post-mortem), et au poète Odilon-Jean Périer.
Jean Périer est né en mars 1901. Le 9 mars, il me semble, il est mort en février 1928, à presque 27 ans, sans connaître son fils, Olivier, devenu plus tard un médecin assez reconnu (je crois). La famille Périer habitait rue Defacqz, à Ixelles - sans doute à proximité de l'avenue Louise, à mon avis, un building a vu le jour à la place de sa maison. Il a fait ses études à l'athénée d'Ixelles, tout proche.
Je l'ai déjà dit, j'ai habité 4 ou 5 rues plus loin, une rue parallèle à l'avenue Louise. "Haute fenêtre d'Or où ma ville s'appuie" disait-il. Mais l'avenue Louise n'avait plus rien de commun avec ce que lui avait connu, sauf pour l'hôtel Solvay, l'hôtel Tassel ou Hannon, le Jardin du Roi "tout pénétré par l'azur" et, plus loin, le Bois de la Cambre. "Dans le bois de la Cambre un facile dimanche". Et, peut-être, la couleur du ciel, la lumière sur l'ancien hameau de Tenbosch. Et la pluie, très, trop souvent. "Je vous aime, Cité, domaine de la pluie..."
La première fois que je l'ai entendu réciter par Charles Kleinberg, sans le connaître, je me suis laissée bercer par ses mots magiques, par cette poésie simple, accessible, dépouillée - c'était une lecture du Citadin -talentueuse, sobre, trop rare chez les récitants. "Le citadin", Ce livre qu'il a écrit sur Bruxelles. Ce qui nous lie, Odilon-Jean Périer et moi, c'est Bruxelles, aussi bien à travers sa poésie, que son unique roman, "Le passage des anges" et qu'une pièce de théâtre comme "Les indifférents" (longtemps jouée au Rideau de Bruxelles).
Mais il y a aussi "Lettre ouverte à propos d'un homme et d'une ville".
Seulement voilà. Odilon-Jean Périer, à la suite d'une infection à streptocoques contractée lors de son service militaire (ou d'un rappel) au camp de Beverloo, avait connu des crises de plus en plus fréquentes de rhumatisme articulaire. Régulièrement, il partait se reposer, tout en entretenant une correspondance assidue avec ses amis - pas seulement des anciens de son athénée, je le suppose, mais aussi Eric de Haulleville, le fils du conservateur du musée du Congo - à Tervueren. Et comme il était exigeant, il avait commencé sa déclaration d'amitié par une lettre de rupture. Peut-être n'avait-il pas un caractère facile ?
Là aussi, je me retrouve... Hélas...
Il dit aussi, quelque part dans son oeuvre ou dans sa correspondance, "Il y eut des mois de maladie, et le monde se simplifia". Finalement, après des embellies et des rechutes, "le rhumatisme est remonté au coeur", comme on le disait alors, c'est-à-dire qu'il est mort d'une péricardite rhumatismale. Et quand on sait qu'il a écrit aussi "Je donnerais toute ma poésie pour être champion de tennis.", alors qu'il incarnait "la" poésie...
Mais tout cela, je l'ai découvert bien après ma première écoute du poète. En 79-80, pendant ma première année de régendat, mon professeur de littérature - non, je me trompe, il enseignait l'analyse littéraire , grammaticale et stylistique - nous avait fait découvrir les poètes belges et Odilon-Jean Périer, Auguste Marin, Armand Bernier... Mais décidément, ce qui me liait à Périer, c'était et cela restait Bruxelles et notre quartier commun, à trente ans d'intervalle. Lui à l'athénée, moi au lycée d'Ixelles, lui ayant fait son droit à l'ULB, rue des Sols, dans l'ancien Palais du cardinal Granvelle (ce "Richelieu" de Charles-Quint, en quelque sorte), mécène à ses heures, dont le palais, de style renaissance florentine, a sombré pour la cause de la Jonction ferroviaire nord-midi. Je n'insisterai pas sur mon passage à l'ulb, si ce n'est que j'ai eu cours - et que j'ai pris en sympathie - et que ce fut réciproque - mon professeur de dissertation, Mlle Defrenne, elle-même disciple de Dame Emilie Noulet. Et qu'elle avait fait une thèse de doctorat (que je possède) sur Odilon-Jean Périer.
Dans les moments graves, je ne sais pas pourquoi, je pense toujours à Odilon-Jean Périer.
"Je ne chanterai pas très haut, ni très longtemps
C'est à mon plaisir seul, à vous que je m'attends
Égalité du coeur,
honnête poésie.
Je n'ai rien de meilleur que cette humeur unie,
J'éprouve
la couleur le grain de mon papier
Et l'incertain trésor que j'y
viens gaspiller.
Toute pleine de moi, page sans bornes, vive
Étendue
où respire une blanche captive,
Mon amour est sur toi comme un ciel
éclairé.
Je me retrouve ici seul et désaltéré.
J'ai placé mon
bonheur dans un calme langage :
J'aime, et jusqu'aux détours, la
route où je m'engage."
(...)
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Et aujourd'hui, je sais qu'il est enterré à "Dalhem". Combien de fois ai-je cherché sa tombe, soit au cimetière de Bruxelles, soit -eh bien, j'aurais voulu aller au cimetière de Knokke-le-Zoute, mais je ne l'ai jamais trouvé.