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6 décembre 2009

Poème retrouvé - Le C4

Voilà, c'est terminé.


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J'ai rangé mes crayons dans mon tiroir, roulé les affiches qui décoraient la pièce,
grimacé devant les dégoûtantes
enfoncé des sacs jaunes,
examiné des objets divers:
mon agenda, un post-it violet avec mes mots de passe,
l'annuaire de l'institution…

Moi! Permanente coordinatrice (f.f.)

Animatrice culturelle

Responsable d’édition

Correctrice de fautes d’orthographe

Rédactrice en chef d’une revue fantomatique

Conceptualisée dans ce contexte

Egale torture mentale…

Les cartes de voeux? J'ai hésité, je les ai jetées et puis je les ai reprises,
carte d'anniversaire
"bonne année" de la part d'une secrétaire intérimaire,
chère fleuriste blonde,
une rose séchée dans un gobelet de coca-cola...
J'ai laissé le jeu de l'oie sans questions ni réponses,
J'ai regardé mes stores et souri:

six ans dans une pièce sans stores, occultée par des affiches et un flambeau,
Désamiantée cet été, et me voilà partie sans avoir profité

ni des stores ni du désamiantage...
La tirelire du P.C.B. est désormais là, devant moi, à la maison,
Et bientôt je partirai...
 

Je suis entrée dans cet immeuble, connu depuis toujours,

dont j'avais appris l'histoire un an ou deux auparavant, alors qu'il était abandonné depuis des mois, murs sales, tapis plain maculé, téléphones encrassés, vitres noires, j'ai déménagé, emménagé, redéménagé, cinq, six, sept fois, récupéré des tables,  

tapé sur mon ordinateur (en panne, veuillez fermer votre programme),

reconnecté l'écran (the keyboard is out),

gratté la souris...  

Redémarré, réinitialisé, supprimé, nettoyé...

C’est là que j'ai imprimé mon amour pour ma ville
C'est là que j'ai crié ma solidarité envers les femmes
c'est là que j'ai souffert, que j'ai pleuré, que j'ai hurlé, mais que j'ai ri aussi,
c'est là, que rameutant toutes les collègues,

Le midi on se disait: voyons… Voyons
"Pour un million, irais-tu avec celui-là sur une île déserte?"
"Non, ah non! Pas celui-là, celui-là non plus...

Non? Si? Il est mignon, tout compte fait..."
C'est là qu'on s'est crêpé le chignon
C'est là qu'on tirait sur le joint
(enfin, pas tout le monde)
qu'on prenait son xanax en douce
C'est là qu'on mangeait des pâtisseries orientales
et qu'on buvait du thé
c'est là que j'ai aimé, pleuré, encore aimé, de nouveau pleuré, espéré,

et que je me suis fait discrète, discrète comme une petite souris, une souris beige,

sur la queue de laquelle on marcherait sans y prendre garde - et
quand la souris s'en va, le chat est malheureux...
 

C'est là qu'on ignorait, l'une après l'autre, les moches, les vieilles, les pas universitaires,

les pas graduées, les pas étudiées, les pas primaires, les pas jardins d'enfants.
C'est là qu'on ne vous refilait plus rien,
qu'on ne répondait plus à vos questions
car "poser la question, c'est déjà y répondre"

C'est tout ça que je vais quitter
j'y ai passé presque sept ans de ma vie
Moi qui maudis les bureaux, leurs murs, leurs portes, autant de prisons, de portes barrées, de barreaux aux fenêtres,
Là où jadis, la Gestapo emprisonnait résistants et droits communs,

derrière sa redoute en béton
C'est là que se sont anéantis des mystères
De là que sont parties toutes les archives d'une drôle d'histoire


Et c'est là que règne en maître aujourd'hui
le tailleur néo-libéral léopardé

D’Elyette Alcide
son gsm piaille à tout moment
c'est hier et aujourd'hui mélangés
c'est l'entreprise
c'est le C4
un bout de
timbre décollé
une signature
une larme au coin des yeux
un soulagement inexprimable
 


C'est Bruxelles, janvier, l'hiver, la pluie et les décorations de noël qui s'effilochent...
C'est la fin et le début d'un monde et d'une Histoire.

PS : ne pas oublier de ramener mes cache-pots...

Marie-Françoise, janvier 2004.

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Commentaires
J
pas de sottise, ni de mot pour rire...<br /> Cette fois, une vie qui se raconte en quelques lignes...Belle écriture il est vrai. Tu as toujours eu la plume...Quoi de plus naturel de la part d'une littéraire.<br /> Bon vent, pivoine et que l'avenir te soit plus clément !!<br /> à bientôt
P
Eh oui Pivrose, vous étiez là à l'époque pour me soutenir... Je crois que j'ai été très soutenue à ce moment-là d'ailleurs (y compris par mes anciens collègues) hormis les 3 ou 4 personnes que mon licenciement "arrangeait" - mais je reconnais que je ne faisais plus guère du bon travail, faut dire aussi que je ne sais pas comment j'en aurais fait!)
P
Merci Nuages, en fait, je ne sais pas si c'est vraiment poétique - je n'ai peut-être pas tout à fait voulu faire poétique quand je l'ai écrit. Je me suis simplement laissée aller. Moi aussi, en le relisant, je revois exactement cette pièce où j'ai passé pas mal d'années (sans compter le bâtiment en lui-même, de juillet 1997 à fin janvier 2004) et les moments où je regardais tout autour de moi et dans le fond, le gobelet de coca, je l'ai donné à quelqu'un qui collectionne tout ce qui concerne la marque rouge - et la tirelire du PCB, elle est effectivement dans ma chambre o;)))
P
oui, c'est un texte qui m'a fait verser quelques larmes à l'époque et qui m'émeut encore terriblement aujourd'hui.
N
C'est un magnifique texte !<br /> D'habitude, je n'"entre" pas dans l'écriture poétique, mais ici c'est différent. Je "voyais" tout ce que tu écrivais.
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  • Mes humeurs et humours, mes journées, Bruxelles et le Brabant wallon, mes coups d'espoir, mes hauts cris et les lendemains meilleurs d'une auteure pas tout à fait morte et d'une peintre apprentie... Dont l'apprentissage dure longtemps !
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