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14 mars 2009

Nous, les vivants et les morts

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"BRUGES LA MORTE, Chapitre VII.

"Depuis les quelques mois déjà que Hugues avait rencontré Jane, rien encore n'avait altéré le mensonge où il revivait. Comme sa vie avait changé! Il n'était plus triste. Il n'avait plus cette impression de solitude dans un vide immense. Son amour d'autrefois qui semblait si loin et hors de l'atteinte, Jane le lui avait rendu; il le retrouvait et le voyait en elle, comme on voit, dans l'eau, la lune décalquée, toute pareille. Or, jusqu'ici, nulle ride, nul frisson sous un vent mauvais qui atténuât l'intégrité de ce reflet. Et c'est si bien la morte qu'il continuait à honorer dans le simulacre de cette ressemblance, qu'il n'avait jamais cru un instant manquer de fidélité à son culte ou à sa mémoire. Chaque matin, ainsi qu'au lendemain de son décès, il faisait ses dévotions – comme les stations du chemin de la croix de l'amour – devant les souvenirs conservés d'elle. Dans l'ombre silencieuse des salons, aux persiennes entr'ouvertes, parmi les meubles jamais dérangés, il allait longuement, dès son lever, s'attendrir encore devant les portraits de sa femme: là, une photographie! à l'âge où elle était jeune fille, peu de temps avant leurs fiançailles; au centre d'un panneau, un grand pastel dont la vitre miroitante tour à tour la cachait et la montrait, en une silhouette intermittente; ici, sur un guéridon, une autre photographie dans un cadre niellé, un portrait des dernières années où elle a déjà un air souffrant et de lis qui s'incline... Hugues y mettait les lèvres et les baisait comme une patène ou comme des reliquaires."

"BRUGES LA MORTE, chapitre XV.

"Alors Hugues s'affola; une flamme lui chanta aux oreilles; du sang brûla ses yeux; un vertige lui courut dans la tête, une soudaine frénésie, une crispation du bout des doigts, une envie de saisir, d'étreindre quelque chose, de casser des fleurs, une sensation et une force d'étau aux mains – il avait saisi la chevelure que Jane tenait toujours enroulée à son cou, il voulut la reprendre! Et farouche, hagard, il tira, serra autour du cou la tresse qui, tendue, était roide comme un câble. Jane ne riait plus; elle avait poussé un petit cri, un soupir, comme le souffle d'une bulle expirée à fleur d'eau. Étranglée, elle tomba. Elle était morte – pour n'avoir pas deviné le Mystère et qu'il y eût une chose là à laquelle il ne fallait point toucher sous peine de sacrilège. Elle avait porté la main, elle, sur la chevelure vindicative, cette chevelure qui, d'emblée – pour ceux dont l'âme est pure et communie avec le Mystère – laissait entendre que, à la minute où elle serait profanée, elle-même deviendrait l'instrument de mort. Ainsi réellement toute la maison avait péri: Barbe s'en était allée; Jane gisait; la morte était plus morte... Quant à Hugues, il regardait sans comprendre, sans plus savoir... Les deux femmes s'étaient identifiées en une seule. Si ressemblantes dans la vie, plus ressemblantes dans la mort qui les avait faites de la même pâleur, il ne les distingua plus l'une de l'autre – unique visage de son amour. Le cadavre de Jane, c'était le fantôme de la morte ancienne, visible là pour lui seul. Hugues, l'âme rétrogradée, ne se rappela plus que des choses très lointaines, les commencements de son veuvage, où il se croyait reporté... Très tranquille, il avait été s'asseoir dans un fauteuil. Les fenêtres étaient restées ouvertes... Et, dans le silence, arriva un bruit de cloches, toutes les cloches à la fois, qui se remirent à tinter pour la rentrée de la procession à la chapelle du Saint-Sang. C'était fini, le beau cortège... tout ce qui avait été, avait chanté – semblant de vie, résurrection d'une matinée. Les rues étaient de nouveau vides. La ville allait recommencer à être seule. Et Hugues continûment répétait: « Morte... morte... Bruges-la-Morte... » d'un air machinal, d'une voix détendue, essayant de s'accorder: « Morte... morte... Bruges-la-Morte... » avec la cadence des dernières cloches, lasses, lentes, petites vieilles exténuées qui avaient l'air – est-ce sur la ville, est-ce sur une tombe? – d'effeuiller languissamment des fleurs de fer!"

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Commentaires
A
Oh, je ne l'ai jamais lu ! Et pourtant je suis une inconditionnelle des écrivains de mon pays !
L
Bruges-le-Morte! C'est le livre qu'adolescente j'ai adoré jusqu'à l'extrème! Merci de me rappeler ici que j'ai voulu" Bruges au cours de mon voyage de noces, pour la découvrir, influencée par ma lecture. C'était il y a longtemps et Bruges avait encore sa splendeur obscure, et nettement, nettement moins touristique!...Amitié, Pivoine.
Mes reflets
  • Mes humeurs et humours, mes journées, Bruxelles et le Brabant wallon, mes coups d'espoir, mes hauts cris et les lendemains meilleurs d'une auteure pas tout à fait morte et d'une peintre apprentie... Dont l'apprentissage dure longtemps !
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