Tout !
Il y a eu un jour, un jour de mai 1989, où j'ai eu l'impression, en un instant, de "tout" posséder.
J'avais trente ans, j'avais un mari, un enfant, un travail, une vie, des parents, une famille, des amis, et ce matin-là, je me trouvais dans "Le petit train du bonheur", qui fait Rebecq => Rognon et Rognon => Rebecq.
Et puis, j'avais eu un coup de foudre - peut-être un des rares coups de foudre de ma vie, et, soit dit en passant, un coup de foudre qui allait faire mon malheur et me précipiter dans la désolation pour un confortable nombre d'années...(Mais était-ce vraiment un coup de foudre?)
Nous participions à un "grand" pique-nique qui avait lieu le jeudi de l'Ascension et qui réunissait plusieurs artistes, professeurs d'art, amateurs, étudiants, amis et leurs familles. Tout le monde allait pique-niquer dans la nature, se balader dans la forêt, quelque part dans le Brabant, wallon ou flamand, et terminer la journée par un souper. Durant cette journée, les artistes étaient censés dessiner mais je n'ai jamais vu personne remplir l'ombre d'un carnet de croquis. Par contre, c'était une bonne occasion de boire et même si on ne buvait pas, on en sortait passablement éméché(e). (Même moi, je dirais, surtout moi, vu que je n'étais pas accoutumée à boire).
Il n'empêche, ce jour-là, vraiment, j'ai eu l'impression de "tout" avoir sous la main, dans ma paume, presqu'en ma possession...
Eh bien, ce midi, en sortant de chez moi, avec mon fils, j'ai éprouvé quelque chose d'analogue. L'impression d'avoir autour de moi les gens que j'aime - et que j'avais de la chance, d'avoir toujours mon père par exemple, et l'espoir et la chance que mon frère guérisse, après une opération difficile. Et qu'il soit heureux. Le fait d'avoir une amie exceptionnelle. Le fait aussi de savoir que mon fils est "bien" -est-il heureux ? Ah! Je l'espère! Il n'a pas toujours la disposition à se réjouir, mais je lui ai expliqué ma théorie... On peut être heureux et vivre des moments difficiles, pas marrants, tout comme on peut être malheureux (ou malade) et vivre des moments heureux. (Ainsi, quand j'étais à l'hôpital St P***, après l'opération du cancer, j'ai vécu de véritables "bons" moments - notamment le soir, quand, mes rideaux tirés, je lisais "Le pianiste").
Mais évidemment, j'ai des raisons, d'autres raisons encore, d'être heureuse.
Hic et nunc. Ici et maintenant, même si je ne sais pas de quoi demain sera fait...
Et je ne parle même pas ici de l'aspect "travail" de ma vie, de l'aspect "artistique".
Evidemment, V*** (= mon fils) a un peu soufflé sur mon enthousiasme (ou mon exultation du moment) en me rappelant les moments où ça n'allait pas. Je lui ai fait comprendre que je n'avais vraiment pas envie d'y songer. Il s'est rattrapé alors en disant que cela devrait me permettre de mesurer le chemin parcouru. Mais justement ! Pour le moment, j'ai envie de me réjouir de ce que je vis, sans trop creuser un passé proche et des problèmes existentiels du style: j'ai été malade (c'est vrai que mon âme a été malade)... Je me suis battue pour m'en sortir... Et je m'en sors.
Plus tard, il me disait que je pourrais avancer désormais sans "béquilles" (je parle ici de béquilles morales). Pourtant, là, non. Je ne les lâcherais pas maintenant. Ce ne sont pas des béquilles d'ailleurs. Le mot ne convient pas.
C'est parfois délicat de parler de nous l'un à l'autre... Ou plutôt, si moi je l'écoute et le comprends souvent, l'inverse n'est peut-être pas toujours vrai, même si je ne lui demande pas de m'écouter et encore moins de me comprendre... Là, je ne puis m'empêcher de sentir planer l'ombre de son père. Mais est-ce important? Est-ce important maintenant de n'avoir pas été connue ou comprise ou simplement aimée par mon ex-mari?
Est-ce que cela a encore une importance quelconque, maintenant ?