Le gâteau rouge...
Dans la nuit de la pleine lune, son épaule s'est brisée.
Elle a tendu son bras nu, à l'horizontale, et l'air était glacé. Le membre gelé l'a réveillée. Elle rêvait. Et dans le rêve, elle a raccroché le volcan. En éruption. Les cratères ont beau paraître éteints, sous les masses terrestres, six ans, vingt ans, des siècles après, il y a toujours le feu.
C'est une boule de lave en fusion qui la dévore. A nouveau. Sous un reste de terres nécrosées, une houle de passion. De colère. De désir. De peur. De culpabilité. De folie. Mélangés. L'homme est pourtant âgé. Et insignifiant. Et la femme était blonde. Et bonne.
Et elle, elle portait son enfant. C'est lui qui l'a retenue. Qui l'a maintenue en vie.
Peut-être. Ou peut-être pas.
Car cet homme, qui, dans le rêve, regarde, et plonge ses mains dans la terre, cet homme porte en lui toute l'impuissance humaine, Et puis, unique, il incarne sa folie à elle.
Colère. Désir, boulimie. Honte et tumeur. Rouvertes au scalpel. Mêlés.
Rouge. Comme est rouge, le sucre qui la submergeait. Comme rouge, était la peinture délaissée sur le chevalet. Il faut peindre le cacao, la terre de Sienne brûlée. Et ce meurtre-là sera rouge. Comme le gâteau, sur la toile. Et brune sera la croûte, et humide, le lin. Et gâché, le sel. Et vertigineuse, et saoûlante, l'essence de térébinthe.
Mais si douce à la peau sera l'huile. Malgré le ventre, encore en flammes.
C'est pour cela qu'elle pressera des tubes, et que le carmin s'en exhalera. Son épaule hurlera. Tout se disloquera. Au bout du voyage, elle aura peint. Comme on crie. En se revivant. Comme un périple au bout de la folie ? Comment savoir ? Elle ne le sait pas. Il ne le saura jamais non plus. D'ailleurs, il ne comprendrait pas.
Comment un gâteau rouge, s'épanouit, désormais, comme une flaque sur la toile...
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En illustration: Josef Albers, Homage to the square guarded, 1952
(c) cliché WikiPaintings.