Nouvel-an chez mes grands-parents
J'ai entre 1 an et dix ans - mon grand-père est mort l'hiver 1968 des suites, disait-il, de son "catarrhe des tranchées". Plus prosaïquement, de l'emphysème - car il pétunait comme un haut-fourneau... Je ne me souviens pas de ce que nous faisions le 31, à la maison - rien, je pense- on avait fêté noël et la suite des vacances, pour mon frère et pour moi, c'était explorer tout ce que nous avions reçu le 25, en matière de jeux et de livres - et de la lecture, il y en avait...
Mais le premier janvier, nous rendions visite à nos grands-parents paternels.
Donc, la petite tribu (petite, puisque nous étions quatre à la maison, papa, maman et les deux enfants que six ans et demi séparaient), flambant neuve, fraîche et dispose, arrivait chez mes grands-parents vers deux heures ou peut-être, trois-quatre heures, pour le café, et peut-être pour un coeur de nouvel-an, ou un gâteau. Ils habitaient un petit appartement dans une vieille maison de rapport bruxelloise, la maison de rapport type, rue Vandenboogaerde, à Koekelberg.
la rue Vandenboogaerde en 1935, quand mon père l'habitait et qu'il avait dix ans...
plan et photographie (c) Reflex City - Bruxelles.
Cela m'apparaissait comme une expédition, car nous nous engouffrions dans les tunnels avenue Louise, en-deçà du rond-point, pour tourner dans ceux de la Petite Ceinture sous la place Stéphanie, et il y avait le fameux tunnel du Botanique avec son tournant impressionnant. Ensuite, nous escaladions le viaduc du boulevard Léopold II et je ne me lassais pas de découvrir ce Bruxelles inconnu et divers: les tramways de la SNCV - "le vicinal" disions-nous alors - circulaient encore, de la place Rogier (ou de la place de l'Yser) vers des destinations inconnues (dont Wemmel, que je connaissais, par contre, à cause du restaurant Balcaen), l'immeuble Citroën, le canal de Willebroek et l'ancien Héliport (-->> suivez le lien vers le blog de Sophie Vandenaemet "C'était du temps où Bruxelles bruxellait", blog d'articles sur des photographies d'époque) où j'essayais d'imaginer le décollage d'hélicoptères. Pour finir, nous arrivions dans la rue de mes grands-parents, à côté du boulevard du Jubilé, qui s'écartaient tous deux du boulevard en formant une mini patte d'oie.
Merci à Sophie Vandenaemet pour son article et ses photographies sur le boulevard Léopold II
et l'histoire de l'Héliport à Bruxelles.
Il y avait une odeur particulière dans la maison. Et puis, des bruits typiques, celui de nos pas sur les marches recouvertes de linoléum foncé, bordées d'un mince nez en métal de cuivre clouté. La porte s'ouvrait sur un petit appartement de trois ou quatre pièces, l'entrée; le salon - salle à manger étaient les pièces que je connaissais le mieux et qui m'intriguaient le plus, car elles étaient tout à fait différentes de notre intérieur. Il y avait l'horloge Westminster, sur la cheminée, les meubles lourds, d'inspiration Arts-Déco, et un divan "cosy corner", avec sa vitrine, pleine de bibelots - qu'on pouvait regarder avec les yeux, mais jamais avec les mains.
Divan cosy-corner Arts Déco (de collection) photo internet...
Il y avait une ou deux figurines qui changeaient de couleur, paraît-il, selon les changements de climat. Le plateau avec la carafe verte à médaillon doré et les verres à apéritif, les deux photographies du mariage de mes grands-parents, dans les années 20, le tableau d'un berger allemand (qui m'impressionnait et réapparaissait dans mes cauchemars), et deux ou trois paysages, de taille décroissante, pas vilains d'ailleurs, d'un peintre de renom, mais sombres et démodés.
Pas une once de modernité dans cet appartement à part un mixer flambant neuf, dans la cuisine.
Mais voilà, mes grands-parents avaient du plomb dans l'aile quand ils nous accueillaient, car eux avaient fêté le réveillon tard dans la nuit... Peut-être autour du célèbre coq au vin de ma grand-mère, avec d'autres membres de la famille que nous ne voyions pas souvent, (ou jamais), tante, cousins, cousines, quasiment des inconnus. Tout cela faisait un curieux contraste qui ne semblait pas enchanter mes parents et qui, dans le fond, ne m'a laissé qu'une immense absence de souvenir.
Mais c'était ça, le premier janvier, et c'était ça, la famille...