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18 décembre 2011

La fa do

D'un bond, elle a sauté hors du train.

Je ne sais plus de quel train, ni sur quel quai, ni même en quelle année, mais c'était une fille bien décidée, qui avait empoigné sa valise, sa veste, et couru vers l'ami qui l'accueillerait à son retour de voyage.

Elle avait fait le trajet de nuit depuis Vienne, elle se sentait saturée de Hofburg, de Schoenbrunn, d'opéra, de baroque, de rococo, de grande roue, de vin blanc et de Heurigers, et pourtant, dans une salle de concert, elle avait chanté Mozart.

Geschi6

Institut du Sacré-Coeur de Vienne

Elles étaient six dans le compartiment. Je ne sais pourquoi elle s'est levée, pourquoi elle est sortie, pourquoi elle avait confiance, mais elle est sortie. Simplement. Et quand elle est revenue, et qu'elle a ouvert son sac, ses papiers d'identité avaient disparu.

Sur les six ados présentes dans le compartiment, quatre se taisaient. C'est l'une d'entre elles qui mène le jeu, le jeu cruel auquel se laisser prendre. "Je te rends ta carte d'identité si tu me donnes de l'argent..."

En quelques secondes, les pensées se bousculent dans sa tête. Aller chercher un animateur? D'abord, rien ne dit qu'il la croira, ensuite, quand bien même elle reviendrait avec l'un d'eux, elle sait bien qu'elle retrouvera sa carte d'identité à sa place. Comme si de rien n'était. Elle regarde autour d'elle. Et si on l'avait cachée dans la poubelle du compartiment? Les autres affichent visage de marbre. Aucune émotion, sur aucun visage, rien. Pas un éclair d'amitié dans leurs regards. Pour elles, c'est juste une farce plutôt amusante.

Alors... Que faire? Céder? La tentation est là, assortie de découragement. C'est tout de même son dernier voyage, c'est son dernier jour, le train la rapproche de plus en plus de la délivrance, elle sait qu'elle ne les reverra plus jamais. Céder est de loin plus facile que lutter.

Donc, céder, oui, pourquoi pas? Fouiller? Elle ne s'en sent pas le droit. Et puis, déjà, elle a honte. Comment expliquer la perte de la carte d'identité, si elle en reste là, si elle ne cède pas au chantage? Vivre avec la honte. Avec tout ce que cela suppose: la honte de déclarer la perte ou le vol de la carte d'identité à la police, -et l'impossibilité morale de dénoncer quiconque- Puis en demander une nouvelle... Ce monologue intérieur l'use.

Alors, elle cède. Elle acquiesce. Elle ouvre son portefeuille et elle donne ce qu'il lui reste de schillings autrichiens, elle s'en débarrasse comme d'une liasse de feu, elle en a horreur, comme elle a horreur de ce compartiment, de ces gens, du vol, de l'injustice... 

Et quand le train arrive en gare, quand elle serre contre elle, fort, son sac et ses papiers rendus, -récupérés, en effet, dans la poubelle- elle se lève la première, saisit sa valise, se dépêche, obéit aux consignes pour la dernière, oui, pour la dernière fois en ces treize années de vie. Et elle court, comme le cancre, sous les moqueries et les huées, elle s'enfuit, elle ne cesse pas de les entendre, les enfants prodiges. Mais elle est délivrée, plus jamais, plus jamais ça, et jamais, elle se le promet à elle-même, jamais ses enfants n'auront à subir cela plus tard...

g143

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  • Mes humeurs et humours, mes journées, Bruxelles et le Brabant wallon, mes coups d'espoir, mes hauts cris et les lendemains meilleurs d'une auteure pas tout à fait morte et d'une peintre apprentie... Dont l'apprentissage dure longtemps !
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