Les inséparables
C'était le jour de son voyage à X-Les-Bains.
Elle s'assura qu'elle possédait bien ses deux cartes d'identité, une à son nom d'origine bien flamande - la principale - et celle assortie au sauf-conduit-laisser-passer dûment tamponné par les administrations indispensables et les résultats de ses prises de sang: (bruxelloise, donc, 1/4 de sang dit "wallon", 1/4 de sang flandrien, 2/4 de sang flamand d'origine à peu près inconnue). On n'en était plus à "Schild en vriend", mais la vie était devenue franchement bureaucrate, tatillonne et inconfortable.
Et puis, il lui fallait ses trois tickets de R.E.R. - un pour Bruxelles, un pour traverser Hoeilaert - pardon, Hoeilaart - et un pour les communes au-delà du mur de barbelés. Du coup, on avait creusé trois voies dans la forêt de Soignes qui n'était plus qu'une vaste friche où repoussaient quelques maigres bouleaux. Et aujourd'hui, c'était le printemps (trop chaud le printemps... Ca humaniserait peut-être les gardes et pourtant, s'ils avaient perdu leur boulot après Shenguen, après une reconversion dans les Casinos de la Brussel op Kanaal, ils l'avaient retrouvé aujourd'hui...) et dans la capitale, cela mettait tout le monde de bonne humeur. Sauf que le tarmac fondait et que les pneus des voitures wallonnes (de mauvaise qualité, tous des paresseux!) adhéraient à la route plus vite que les autres. Et d'ailleurs, les cerisiers rose bonbon et les rhododendrons ne supportaient pas cette chaleur anormale pour la saison.
Faut dire aussi qu'un gang mystérieux trafiquait les pneus de voiture au marché noir automobile, installé dans le couloir d'une petite maison de rapport à Woluwé.
Et puis, notre héroïne s'était dûment munie de palmes, tuba et bouteilles de plongée, car il lui faudrait traverser le lac de X-Les-Bains par les couloirs souterrains que se partageaient les citoyens de l'une ou l'autre rive (***). Les chats, eux, avaient été envoyés par valise diplomatique, leur transfert ayant provoqué quelques problèmes, puisqu'ils étaient nés respectivement à Tenneville et Saint-Hubert. On pouvait considérer qu'ils avaient traversé les frontières linguistiques et bruxelloise frauduleusement et on avait inspecté longuement l'odeur de leurs urines (wallonnes ou bruxelloises ???) - En fonction des croquettes ingérées d'abord, d'ailleurs. Faut dire que les croquettes Aldi wallonnes (une saloperie de sous-marque importée d'Allemagne) étaient moins bonnes que celles du Trafic anderlechtois (en Or massif...) Aussi leur avait-on imposé une quarantaine qui les avait relâchés dans la nature complètement amaigris et redevenus arets.
Hélas, les chats de X-Les-Bains et ceux venus d'Anderlecht ne se comprenaient plus... Il était temps de rééditer un Assimil spécial pour apprendre aux chats à miauler dans la même langue et, dans la foulée, à apprendre aux chiens à miauler aussi.
Le train s'ébranla doucement. Partout, sur les murs de la ville, les affiches avaient reparu, on reconnaissait à peine un de ces hommes politiques francophones du passé, une fois Mme Non, une fois l'olivier argenté, honnis de toutes parts, "WANTED", puisqu'on les avait accusés de tous les maux et exécutés symboliquement en place publique (Montfaucon et le Galgenberg, c'était fini tout de même...) (***)
Bref, un voyage qui n'était pas sans danger...
(***) Le lac de X-Les-Bains recouvre la frontière linguistique et régionale "Brabant flamand" et "Brabant wallon".
Merci aux Défis du samedi à qui j'ai piqué l'idée de Montfaucon, le gibet de Paris.
Quant au Galgenberg, c'était le Montfaucon bruxellois dans l'ancien régime.