Décembre 1956 - septembre 1957
Certains blogueurs et blogueuses se souviennent peut-être du blog collaboratif des "Petits cailloux et ricochets".
(Dans mes liens).
Je suis restée en rade en l'an de grâce 1984, année où j'ai rencontré mon futur mari. Peut-être ai-je raconté les petites péripéties de notre rencontre dans Pivoine ("Mes carnets") - mais je n'ai pas tellement envie de continuer dans le sens descendant: 1984, 1983 (je ne me souviens pas de grand-chose pour cette année-là), 1982 (une année nulle) et 1981 - une année importante. J'avais décidé de partir de 2005 (ou de 2006, et de reculer dans le temps).
J'ai donc envie d'essayer de reprendre à la base. Le défi est de remonter 9 mois avant la naissance.
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J'ai dû être conçue aux alentours de décembre 1956. A la fin? A noël? Nouvel-an? Ou n'importe quand? On peut toujours s'imaginer que c'était en des moments plus festifs, où le couple était plus détendu. Je n'en sais rien. Je ne puis imaginer le couple que formaient mes parents, fin 1956. J'ai quelques petites idées sur la question, ma naissance, en quelque sorte, relève d'un petit miracle... Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est une "erreur" - j'espère que non, mais en tout cas, quand ma mère découvrait qu'elle était enceinte, c'était galère. Il faut reconnaître qu'elle le supportait mal, que ses deux premiers accouchements s'étaient mal passés, (surtout le deuxième, hélas!) mais par chance, elle avait de nouveau un bon gynéco et je crois qu'il est arrivé à la rassurer.
Le "natabec" a fait le reste, un complexe vitaminique en gélules roses et bleues que je lui ai vu prendre pendant des années.
Mon père travaillait rue des Fabriques, dans les bureaux de la métallurgie d'Overpelt-Corfalie (ortho?) que je suppose avoir été l'ancienne compagnie des Métaux. Je crois qu'il rentrait manger à midi à la maison.
Mon frère avait presque 6 ans à l'époque et sans doute venait-il d'entrer à l'école des Frères d'Ixelles.
Ma mère ne travaillait pas et restait à la maison. Maison qu'elle n'arrivait pas à entretenir, de sorte que nous vivions dans deux pièces: la cuisine et le "living" qui donnaient sur le jardin par une porte-fenêtre, sans compter les chambres du premier. Dans la cuisine, il y avait un vieux buffet, (de mes grands-parents... Il fut évacué lors de notre déménagement, en 2004), un poêle à charbon, (en fonte? De couleur cuivre-brun-chocolat), une cuisinière avec des degrés Fahrenheit (sur laquelle j'ai appris à cuisiner), et des objets hétéroclites comme un chaudron en cuivre déterré après 1918 dans la cour de la forge de mon arrière-grand-père, des grandes bassines en fer blanc pour les lessives, et de petits bassins en émail blanc cerclé de bleu pour se laver soi !
Je possède encore la table de la cuisine - elle se trouve dans ma salle à manger actuelle.Et j'y tiens ! J'ai la faiblesse d'y tenir...
Je suppose que ma mère consacrait déjà le plus clair de son temps au tricot, (elle tricotait des pulls, des gilets, et même nos chaussettes pour aller à l'école), peut-être à un peu de couture, et sûrement à pas mal de raccommodage. De temps en temps, elle rêvait à ses broderies, qu'elle sortait pour nous apprendre à broder. Ou pour broder avec mon frère puisque je n'étais pas née. Et je garde pieusement cette boîte, il m'arrive aussi de rêver devant les écheveaux de soie à broder, je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à m'en séparer... Il lui arrivait peut-être encore d'esquisser quelques silhouettes, en marge de ses ouvrages, mais je n'en sais trop rien. En tout cas, elle avait fait encadrer une Vierge qu'elle avait peinte à la gouache pour la chambre de mon frère.
La chambre de mes parents était située côté nord et côté rue, il y avait un immense bow-window (du moins, enfant, m'apparaissait-il comme noir et immense), la tenture était toujours fermée (pour mieux isoler la pièce sans doute), une tenture de velours brun foncé. La nuit, par transparence, on voyait l'éclairage de rue et des tas d'ombres mystérieuses. Mes parents avaient sans doute commencé à nettoyer des pans de murs recouverts de plusieurs épaisseurs de papiers peints, tous plus affreux les uns que les autres. La chambre était meublée d'un vieux lit haut (de mes grands-parents? Ou de mes arrière-grands-parents?) en chêne sculpté de guirlandes. L'un des pieds du lit était cassé et avait été remplacé par deux ou trois briques empilées l'une sur l'autre. Un vieux meuble "lavabo" à miroir, une garde-robe, à miroir aussi, complétaient cet ameublement, avec deux chaises assorties, recouvertes d'une soie bleu nuit, et qui perdait ses sangles.
Dans mon énumération, j'ai oublié une petite armoire achetée aux Petits Riens.
Le parquet, lui, était magnifique: nous vivions donc modestement dans une maison de caractère du quartier Louise...
Je pense que mes parents s'entendaient bien pour tout ce qui concernait les échanges d'idées. Même s'ils n'avaient pas du tout les mêmes idées. Même si ma mère méprisait la politique, et honnissait le sport, selle méprisait surtout les hommes politiques belges. Ils s'intéressaient au cinéma, (nous n'avions bien entendu pas la télévision), moins au théâtre, (encore que! Ils écoutaient les pièces de théâtre radiodiffusées), mais ils lisaient La Libre, lisaient des livres d'histoire, d'archéologie et montaient doucement leur bibliothèque; écoutaient la radio, essentiellement le 3ème programme (aujourd'hui Musique 3).
Et puis, je sais qu'ils allaient à la messe chaque dimanche, à Notre-Dame de la Cambre - où j'ai été baptisée.
Voilà à peu près ce que je peux reconstituer de leur vie. Il y a les flashes d'après ma naissance, les souvenirs de ma petite enfance, comme des tranches de vie identiques à ce qui faisait déjà partie de leurs habitudes. Ainsi, de temps en temps, ma mère faisait de la confiture, qu'elle mettait en pots, fermés par de la paraffine et qu'elle stockait sur la cheminée de sa chambre. Ces confitures ne conservaient pas toujours, je ne crois pas.
Le samedi 21 septembre au matin, mes parents sont allés faire des courses en ville et ils ont acheté leur fameux boudin noir (dont ils raffolaient) à la charcuterie tchekoslovaque de la rue des Pierres. D'après les souvenirs de mon père, le boudin a un peu pesé sur l'estomac de ma mère et comme ils avaient rendez-vous avec le gynéco l'après-midi à Sainte-Elisabeth, celui-ci leur a dit: "alors, on met ça en route aujourd'hui?"
Ausssitôt dit, aussitôt préparé. Cinq ou six heures après, à 22h50, j'étais née; mon père a assisté à la naissance, mon frère était semble-t-il avec une dame, ou une gardienne, dans la section. Je gueulais comme un putois (lol), et ma mère qui demandait au médecin: "Docteur, est-elle viable?" s'est entendue répondre... "Mais Madame! Vous ne l'entendez pas crier ???"
Ouaiss ! J'avais pas fini d'enquiquiner mon monde o;) Et mon père et mon frère, tout contents (enfin, je l'espère!) sont rentrés chez eux, pendant que je commençais ma petite vie dans ce monde noir, froid et inquiétant, avec pour seul contact, la main de ma mère sur mon front (naturellement, c'est elle qui me l'a raconté, la pauvre n'ayant pas pu fermer l'oeil de la nuit...)
Il y a encore eu une légère hésitation, au moment de me déclarer à la Maison communale. Mes parents voulaient m'appeler Marie-Claire, mais une cousine de mon père venait d'appeler sa fille Claire. Et voilà comment on m'a prénommée Marie-Françoise et franchement, j'estime que j'ai gagné au change ! Plus tard, ma mère m'a dit aussi que j'avais un prénom bien à moi. Que je n'avais pas reçu le prénom de l'enfant disparue au Congo - et qui était une fille. Elle m'a dit cela quelques mois avant sa mort, parce que je lui parlais d'une amie dont un des prénoms était celui d'une soeur morte avant sa propre naissance.
J'ai toujours aimé mon nom et mon prénom.
C'est déjà une chose.