Ite missa est
La paroisse de mes parents était l'église Notre-Dame de la Cambre. J'aimais la Cambre, peut-être pas quand j'étais petite, car il y faisait très froid l'hiver, et nous nous trouvions parfois loin des réchauds à gaz, chichement dispersés dans les allées, mais plus tard, j'y ai trouvé beaucoup de choses intéressantes à contempler.
Mes parents n'aimaient pas la Cambre ou plutôt, ils n'aimaient pas le bedeau. Le bedeau ou celui qu'on appelait parfois "le quatrième vicaire". Les chaisières de la Cambre avaient un petit béret noir, des lunettes, et une sorte de robe-redingote en satinette d'un effet très étonnant.
Donc, mes parents se dirigeaient plus volontiers du côté de la Trinité, qui avait une façade exceptionnelle (celle de l'ancien couvent des Augustins, transplantée depuis la place de Brouckère), et une très intéressante bibliothèque, dans les sous-sols, tenue par une vieille demoiselle qui nous nourrissait en livres de la bibliothèque de Suzette. Au retour, (par la rue Américaine), on faisait étape aux Petits Riens, par la bouquinerie justement, où ma mère cherchait à reconstituer sa collection de Semaines de Suzette (et elle en a déniché pas mal, d'ailleurs).
Ils allaient aussi parfois, dans une chapelle, rue Washington, attenante au couvent des Pères Servites de Marie. Il faut dire que rue Washington, il y avait la pâtisserie Verbeeke, où l'on achetait des "pensées", des "ananines" ou des "gâteaux de Gênes". Et dans les trois églises, il y avait du monde, à la sortie, un mendiant, de la musique, la messe en latin, jusqu'au Concile, ensuite, les choses se sont simplifiées, en même temps que les églises se sont vidées, assez paradoxalement.
Mais quand, un certain dimanche -et là je ne sais plus de quelle année, j'étais à la fin de mes primaires- ils m'ont traînée à la messe à la Trinité, alors que j'avais dit que je ne me sentais pas bien... Il y avait encore beaucoup de monde. Je m'étais plainte à ma mère, après le petit déjeuner, tout en ne sachant pas expliquer ce que je ressentais.
J'étais fatiguée, mal en train, nauséeuse... Elle m'a répondu, "habille-toi, ça passera".
Eh bien, ce n'est pas passé. Durant toute la messe, les nausées se sont imposées, de plus en plus concentriques, profondes, écoeurantes, avec ces sueurs froides qui les accompagnent, jusqu'au moment où une crise de vomissement, incoercible, m'a secouée.
Catastrophe des catastrophes ! J'étais trop malade pour ressentir de la honte ou de la peur, mais j'ai entendu ma mère s'exclamer: "mon Dieu! Heureusement que c'est arrivé après l'Offertoire!" Quant à mon père, courageusement, il a remonté toute la nef, pour aller quérir un seau de sable à la sacristie, et puis, on m'a entraînée dehors, mais c'était trop tard, j'étais bien malade, la nausée et les vomissements me secouaient, me tordaient, comme un prunier pendant les Saints de Glace.
Je ne sais plus ce que j'avais, grippe? Gastrite? Un virus quelconque? En tout cas, le pédiatre est venu (il se déplaçait, à l'époque), et je suis restée une bonne semaine à la maison...
***
Quand je repense aux églises, et plus particulièrement, à la Trinité, il me revient cette impression de froid, le souvenir de la petite chorale d'amateurs, aux messes du dimanche soir, la nuit, dehors, en hiver, où il fallait plonger au sortir de l'église, l'odeur noire des confessionnaux en chêne ciré, le bruit sec de la petite grille qui s'ouvrait, dans l'habitacle, l'acte de contrition, qu'il fallait réciter sans se tromper, et puis les sermons d'une longueur invraisemblable.
Et enfin, le soulagement, au fur et à mesure qu'on avançait dans la liturgie, la distraction que constituaient les chants en latin d'église, et puis, certains événements, parfaitement incongrus.
Un dimanche soir, alors que nous étions tous debout - et rester debout était un progrès par rapport au fait de s'agenouiller sur des chaises paillées... Quelqu'un, au rang devant moi, un homme, jeune, agenouillé, lui, sans bouger d'un millimètre, s'est mis à uriner devant tout le monde...
Et tout le monde a fait semblant de rien.