Un souvenir d'enfance et de jeunesse.
Dans la cuisine de mes parents, rue V.E. il y avait un vieux buffet, en deux parties, aussi vieux, peut-être, que celui de Rimbaud, sauf qu'il n'exhalait pas de flots de vin vieux...
Bref, dans ce buffet un peu bancal, peint -me semble-t-il- en jaune à l'extérieur et vert à l'intérieur (ou était-ce en gris avec une horrible plaque de balatum sur l'élément bas?), et souvent poussiéreux, il y avait de temps en temps, parmi les assiettes dépareillées et les saladiers divers, une boîte de céréales.
C'était une concession de ma mère à la modernité, et si cette boîte se trouvait là, ce n'était pas pour nos petits-déjeuners, mais pour nos goûters. Des goûters qu'elle qualifiait, je ne sais pourquoi, de "goûters Louis quatorzième". Je sais beaucoup de choses sur Louis XIV, mais j'ignore absolument s'il avait l'habitude de faire des goûters plantureux.
Non que nos goûters étaient plantureux, mais l'après-midi d'école avait été longue et on avait faim. A 4h1/2, 5 heures, c'est normal. Peut-être aussi repoussions-nous inconsciemment le moment de se recoller à la matière et à l'étude. En général, le goûter consistait en une banane écrasée. Parfois, il y avait du pain perdu, mais le plus souvent, c'était des tartines -avec du choco (meli ou aux noisettes quand le nutella est apparu), ou, pour moi, qui avais des idées bizarres, du pâté de foie ou une rondelle de saucisson. (Ce qui me permettait de fermer les yeux, et rien que par l'odeur de fumure de me transplanter dans une salle à manger ardennaise et dans le souvenir de vacances inoubliables à Bouillon).
Bref, un jour, les céréales ont fait leur entrée et si tout ceci m'est revenu en mémoire, c'est à cause d'un petit pot de déjeuner yaourt + céréales que je me suis acheté l'autre jour et que j'ai mangé... Ce midi. J'ai essayé de me souvenir de la composition très précise de mes coupes de céréales et je suis arrivée à ceci...
Dans une coupe (provenant justement de la collection de pots et verres de Nutella), je versais les grains de riz soufflés. Je les sucrais (pas plus d'une cuiller à café, ma mère faisait toujours sa police diététique...), j'émincais soigneusement une banane que je disposais en fleur sur le tout et alors seulement, je versais le lait (du lait Stassano AA, frais, bien entendu, ni upérisé, ni stérilisé, ni rien de tout cela). Alors, le contenu de la coupe faisait entendre un joli bruit de crépitement et c'était presque aussi gai que de manger cette gourmandise.
Je laissais le lait pour la fin, ce lait sucré, au goût de biscuit et teinté du blond des céréales était succulent...
C'était le bonheur à l'état de sucre pur dans mon gosier et à tout jamais dans ma mémoire...